Entretien avec Jean Duvernoy

Publié le par Théo

A l'occasion de la parution du livre-hommage à Jean Duvernoy, Les Cathares devant l'Histoire, voici un extrait de l'entretien que ce spécialiste du catharisme a accordé à Histoire et images médiévales (Hors-série n°1), où l'historien nous parle de sa vie et de sa passion.

 

 

Jean Duvernoy, historien spécialiste du catharisme et de l'Inquisition.

Ayant suivi une formation en droit, que vous avez rapidement mise en oeuvre dans le milieu professionnel, quels ont été les motifs qui vous ont conduit à entreprendre des recherches sur les hérésies médiévales, et le catharisme en particulier, et comment avez-vous pu conjuguer votre activité professionnelle et l'investissement que nécessitaient vos investigations historiques ?

 

Je ne suis pas un autodidacte méritant. J'ai suivi un cursus de doctorat d'Histoire du droit à une époque où les effectifs étaient tels qu'il s'agissait moins de cours que de leçons particulières. Et l'on sortait du lycée, à l'époque, avec une bonne maîtrise du latin et du grec.
Le hasard a voulu que mon premier emploi en 1941, après ma démobilisation, soit celui d'auxiliaire à la bibliothèque municipale de Grenoble, et que je sois chargé de faire l'inventaire du legs de la bibliothèque de Georges de Manteyer, l'ancien directeur de la Fondation Thiers. Il possédait tout ce qui avait été imprimé sur les vaudois et les hérésies médiévales. Je l'ai parcouru au passage.
Quinze ans après, je me suis trouvé à Toulouse et j'ai entendu parler des cathares, qui commençaient à être à la mode et sur lesquels on disait et écrivait n'importe quoi. Je me suis rendu compte qu'un très important corpus, dont l'existence était pourtant bien connue, était à peine déchiffré. Il y avait d'abord le fonds Doat, des copies du XVIIe siècle des registres de l'Inquisition de Toulouse et de Carcassonne, bien connues et souvent citées mais qu'aucun chartiste n'aurait songé à publier, vu sa date et son volume. Il y avait surtout le registre de Jacques Fournier (Benoît XII), sur lequel avait beaucoup travaillé Jean-Marie Vidal, l'éditeur du registre de ce pape.
Pour ma seule distraction, je me suis procuré les microfilms, les ai lus dans un magnétophone puis les ai tapés à la machine, en commençant par le plus savoureux, le registre de Jacques Fournier. M. Odon de Saint-Blanquat, qui était alors directeur des Archives municipales de Toulouse, et ariégeois d'origine, me poussa à le publier et me présenta à Charles Samaran. Ce dernier me procura une subvention sans laquelle aucun éditeur n'aurait envisagé de publier trois volumes de latin serré. Mais il me dit en me quittant : « Vous rétablissez naturellement l'orthographe du manuscrit » ! Le livre fut couvert par souscription, mais il me fallut éditer un important fascicule de corrections. Mes publications ultérieures, étalées sur près d'un demi-siècle, ne constituent pas une performance exceptionnelle.

 

L'importance de ce registre a d'ailleurs motivé la publication d'une troisième édition, très récemment, par la Bibliothèque des Introuvables. Mais vous avez réalisé une vingtaine d'autres éditions et traductions de documents médiévaux sur le hérésies de cette période : quels sont les axes de recherche que ces documents vous ont permis de développer ?

 

Ces documents concernent essentiellement les cathares, les vaudois et les franciscains qui voulaient conserver la pratique de la pauvreté et leurs tierçaires, les béguins et béguines.
Les cathares sont à bien des égards des fossiles, dont l'idéal religieux date de l'an Mil. Mais ils ont constitué un tel danger dans certaines parties de l'Europe et de l'Asie mineure qu'on leur a consacré à l'époque des études exhaustives. Cela m'a permis d'écrire Le catharisme en deux volumes, Religion et Histoire. Sur le valdéisme, je n'ai écrit que des articles utilisant les renseignements hors pair de l'Inquisition. Sur les spirituels et les béguins, je ne pouvais faire mieux que de traduire l'ouvrage capital de Raoul Manselli, « Spirituels et béguins du Midi » (Spirituali i beguini in Provincia).
Il va sans dire que cette masse documentaire apporte beaucoup à la connaissance du milieu et de l'époque, à la condition qu'on ne cherche pas à en tirer des statistiques. Je ne m'en suis pas mêlé, mais l'ouvrage d'Emmanuel Le Roy-Ladurie a rendu le pauvre Montaillou célèbre.

 

 

Cliquez sur l'image pour ouvrir le site Internet de Jean Duvernoy.

À la rigueur scientifique dont vous faites preuve, vous associez le souci de mettre à la portée du plus grand nombre les sources que vous avez étudiées. Votre site Internet s'enrichit ainsi progressivement de nouvelles transcriptions et traductions de chroniques, registres et autres sources médiévales : quels sont les prochains textes que vous projetez de mettre en ligne ?

 

Le dossier complet des troubles soulevés à Carcassonne et à Albi par les procédures de l'inquisiteur Jean Galand et de ses successeurs, ces procédures et le rapport fait sur elles au pape vers 1330, qui encadrent l'extraordinaire carrière de Bernard Délicieux.
Ainsi que, par extraits, les deux registres concernant les spirituels et les béguins dont l'histoire est particulièrement dramatique : quelque 80 victimes du bûcher en quelques années.
Je vous disais en commençant que j'avais eu la chance d'acquérir une bonne formation quand j'étais jeune. J'ai maintenant la chance de « publier » sans effort ce que je copie (pardon ! ce que je « saisis ») avec un tirage sans limite qu'aucun éditeur ne pourrait m'offrir.

 

Beaucoup d'éminents spécialistes des hérésies médiévales, du catharisme tout spécialement, considèrent que vous êtes « pionnier » ou « fondateur » d'une nouvelle forme de recherche historique en la matière, et ils vous rendent d'ailleurs hommage à travers le volume de mélanges qui vous est offert. Pouvez-vous nous expliquer en quoi vous pensez vous être démarqué des méthodes utilisées auparavant ?

 

Probablement parce que j'ai transcrit en entier un certain nombre de textes et les ai publiés avec des index. Mais c'est là un travail servile, sans rapport avec la véritable recherche, telle celle d'Antoine Dondaine, un dominicain français qui a découvert un bon nombre de textes d'époque, émanant parfois des cathares ou des vaudois eux-mêmes. Avant lui on pourrait citer H.C. Lea qui, pour son History of the Inquisition of the middle ages de 1888, avait tout vu de ce que l'on connaissait alors ; ou Ignaz v. Döllinger, qui avait relevé dans toutes les bibliothèques d'Europe les manuscrits concernant les hérésies.
J'ai eu la chance de travailler en étant entouré d'historiens et d'historiennes qui sont autant d'amis. Mais d'autres me reprochent de prendre les textes au pied de la lettre, et d'ignorer la critique contemporaine, le structuralisme et le déconstructionnisme. Je ne m'attends pas à voir des résultats tangibles de ces nouvelles méthodes avant ma mort.

 

Quels sont les domaines des hérésies médiévales qui restent encore à investir ?

 

L'Espagne reste encore peu explorée. Les quelques citations que l'on relève dans le vieux manuel de l'inquisiteur Nicolas Emmerich montrent qu'après les vaudois, la Catalogne a connu un mouvement franciscain analogue à celui du Languedoc, avec sans doute autant de victimes. Il cite un béguin qui a été une première fois « à moitié rôti » (semi assatus), probablement parce qu'enlevé du bûcher par la foule, puis brûlé dix ans après, définitivement.
L'Inquisition allemande est bien étudiée, avec publications de textes, par les professeurs A. Patschovsky et K.V. Selge. Les disciples de D. Angelov poursuivent l'étude des bogomiles de Bulgarie, qui devrait être complétée par la recherche sur les sources.

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J
merci à jean duvernoy pour le magnifique travail de sa vie
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